vie tranchée
Â
textes : René Cruse
images  montage : Luca Lennartz
© 2011 Cruse Lennartz
Avant-Propos
C'est en juillet 2009 que René Cruse redécouvre par hasard un récit de guerre qu'il avait totalement occulté. Cette bouteille à la  mer ...
 Â
Avant-propos
    Etonnante destinée que celle de ce manuscrit ! Au départ, il ne  s’agissait que de mots saisis dans l’urgence, de notes rédigées  hâtivement au cantonnement, dans le feu de l’action pour tout dire.  Dérisoires petits papiers épars, qui ont tout de même survécu à la  « pluie de fer, de feu, d’acier de sang », qui s’est abattue sur eux  pendant neuf mois, d’août 1944 à mai 1945. Reprenant toutes ces  paperasses peu après la fin de la guerre, en 1947, René Cruse les met au  propre en les tapant à la machine. Le tapuscrit est soigneusement rangé  dans un fond de tiroir, où il va dormir pendant plus de soixante ans,  complètement oublié. C’est en juillet 2009 que l’auteur redécouvre par  hasard ce récit de guerre qu’il avait totalement occulté. Cette  bouteille à la mer aura mis soixante-deux ans pour traverser l’océan du  temps et atteindre René Cruse sur les bords du XXIe siècle.     Que pouvaient bien valoir ces vieux papiers ? Un ami conseille de les  verser aux archives militaires. Un autre y voit la matière possible d’un  roman. Un troisième se prononce pour la poubelle. On a déjà tant écrit  sur la Deuxième Guerre mondiale, à quoi bon un récit de plus ? Quel  intérêt de regarder par le petit bout de la lorgnette ce que tant  d’historiens érudits et de talentueux essayistes ont raconté, disséqué  et analysé ? Le texte de René Cruse est plein de lacunes, des noms  propres sont laissés en blanc, on relève des inexactitudes, des  imprécisions. Mais comment pourrait-il en être autrement, puisque ce  texte est celui d’un jeune homme d’une vingtaine d’années et non pas les  mémoires d’un chef d’état-major ? C’est justement ce témoignage vécu au  plus près de l’événement qui, à mes yeux, donne tout son prix à ce  récit. René Cruse partage la même histoire que ces jeunes gens  sincèrement révoltés, ces « rebelles de l’an 40 », selon l’expression de  Georges-Marc Benamou, ces gamins idéalistes et généreux qui vont entrer  dans la vie adulte par la porte de la guerre. Ils deviendront des héros  pour la plupart et, pour d’autres, des assassins. Partis pour sauver la  France ou comme le chante Aragon : « délivrer la Belle, prisonnière des  soldats », ils n’auront bientôt plus qu’une idée en tête : tuer pour ne  pas être tué. Si la guerre est l’école du courage, du sacrifice, de la  camaraderie et de l’héroïsme, elle est aussi, pour ceux qui l’ont  vraiment vécue ou subie, l’école du crime, du brigandage, de la bêtise  et de la haine. Elle est le cadre propice où se vautre la « vacherie »Â  humaine, selon le mot de Céline. Ce qui donne sa force à ce récit, par  ailleurs imparfait au regard de l’histoire ou de la littérature, c’est  sa profonde authenticité. La parole colle aux faits. Ce sont des choses  vues. Le récit est d’autant plus vrai, j’allais dire plus pur, qu’il est  exempt, dans sa conception originelle, de tout projet éditorial, de  toute visée moralisatrice. Les faits sont posés là , parfois brutaux,  parfois drôles, parfois révoltants. Le crayon de René Cruse ne juge pas,  il enregistre.  Dans sa forme première, le texte mis au propre  est transcrit en continu, coupé de temps à autre par un intertitre. A  la lecture, quatre grands moments se dégagent de cette aventure  personnelle, quatre expériences particulières, liées à quatre lieux  spécifiques. L’épisode espagnol commence comme une randonnée en montagne  et aboutit vite à un camp de concentration. C’est le temps des  premières désillusions. L’épisode africain, en Algérie, est le temps de  la formation militaire et de l’impatience. La campagne de France est le  temps des combats et de l’euphorie victorieuse. Dans les derniers mois  en Allemagne, la guerre n’en finit pas de finir et les héros sont  fatigués. Comment renaître d’une telle tuerie ? Comment reprendre le  cours d’une vie tranchée par l’expérience de la guerre ? Petit soldat,  tu crois avoir gagné la guerre, mais c’est la guerre qui t’a défait. Sur  le plan individuel, la seule issue positive de cette guerre, c’est  qu’elle aura fait finalement de René Cruse un pacifiste militant et un  antimilitariste convaincu.Jacques GeoffroyDocteur ès lettres
   Â