vie tranchée
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textes : René Cruse
images  montage : Luca Lennartz
© 2011 Cruse Lennartz
Départ
...Au fur et à   mesure que les déportations massives vers l'Allemagne hitlérienne  s'accentuaient, ma rage juvénile de vengeance grandissait ...
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Départ. Dimanche 6 juin  1943.
    Il me fallait rejoindre la Résistance. Au fur et à mesure  que les  déportations massives vers l'Allemagne hitlérienne  s'accentuaient, ma  rage juvénile de vengeance grandissait. Nous les  jeunes, nous voulions  tous être partie prenante dans la reconquête de  la liberté. Après trois  ans d'oppression, d'humiliation, de crainte  d'être déporté, je décidai  de m'évader de France, comme mon frère.  C’était en mai 1943, j'avais  alors 21 ans.  Grâce à une  organisation clandestine communiste,  que mon père paya fort cher, je  franchis les Pyrénées dans la plus  grande discrétion vis-à -vis de notre  entourage. Ironie du sort, mon père  « de droite » paya donc aussi pour  des communistes. Un premier scénario  prévoyait une fuite par avion,  mais à la suite d'une panne  d'électricité qui interrompit l'écoute  radio (les transistors  n'existaient pas encore), il ne fut plus  question de prendre l'avion  anglais qui devait à grands risques  atterrir près de Bergerac pour nous  emmener à Londres. C'est donc par  le train que commença l'aventure.
  Afin de tromper la surveillance et le  contrôle dans les trains, nous achetions nos billets de station en  station ; pour nos bagages, nous n'avions qu'une musette et une  invincible confiance dans la réussite de notre folle entreprise. À  Saint-Jean-de-Luz, l'affaire parut manquée. Un douanier allemand, armé,  se tenait sur le quai d’arrivée pour examiner la situation des jeunes  hommes. Il regarda par deux fois mes faux papiers, d’après lesquels je  n’avais que dix-sept ans... Mes mains tremblaient... Tout en conservant  ma carte d’identité, il me fit signe de me placer derrière lui. Je me  suis senti perdu…
    Pendant que l'Allemand contrôlait d'autres voyageurs, une vendeuse de  journaux s’interposa entre lui et moi, en faisant mine de me vendre un  journal, et me fit signe de déguerpir. J’ai pris mes jambes à mon cou  pour cavaler à toute allure vers le refuge prévu par avance par  l'organisation. Mes camarades et moi y sommes restés planqués jusqu'à la  nuit, comme convenu.