vie tranchée
Â
textes : René Cruse
images  montage : Luca Lennartz
© 2011 Cruse Lennartz
Prologue
...C'est  dans l'allée des Roses, que me fut annoncée par  mon père la déclaration de guerre  de la France à l'Allemagne...
 Â
Prologue Bordeaux, septembre 1939.
  C'est dans l'allée des Roses,  comme nous appelions alors cette partie de notre jardin, que me fut  annoncée par mon père la déclaration de guerre de la France à   l'Allemagne... Il faisait beau, il était six heures du soir, le 3  septembre 1939. Depuis Munich (celui de Chamberlain et de Daladier), on  s'attendait à la catastrophe. Maintenant, l'état de guerre était là ,  lourd d'impondérables. Mon père ajouta qu’à tout prendre, il préférait  encore que la guerre ait lieu maintenant car mon frère et moi étions  trop jeunes pour la faire puisque, à son avis, elle ne durerait pas  longtemps. Comme tout le monde à l’époque, mon cher père s’est  lourdement trompé, car la guerre a duré six ans et nous l’avons faite  comme on le verra ici.  Le centre d'accueil de la gare  Saint-Jean à Bordeaux nous mobilisa entièrement à partir du mois de mai  1940, au moment de la grande offensive allemande qui, en moins de deux  mois, mena la France à la capitulation. Des trains entiers de réfugiés  belges, luxembourgeois et français arrivaient à toutes les heures du  jour et de la nuit, déversant une horde de gens affamés et écrasés de  fatigue, venant des zones de guerre. Pour le centre d'accueil, il  s'agissait de ravitailler en café au lait et en tartines des milliers  d'affamés avec beaucoup de bébés. Il fallait aussi les héberger ou les  diriger vers d'autres centres qui, à leur tour, les repoussaient un peu  plus loin comme des troupeaux en transhumance. Dans les wagons, portant  encore à cette époque l'inscription « Hommes : 40 – chevaux en long :  8 », les humains remplaçaient les bestiaux. Certains voyageaient depuis  une semaine à travers une France bombardée, mitraillée et désorganisée.  Plusieurs avaient oublié d'où ils venaient et ne savaient dire où ils  allaient. C'était l'hébétude ! Bien avant l'heure fatidique de  l'armistice, la gare Saint-Jean témoignait d'une France vaincue. Sous  ses immenses voûtes enfumées par les locomotives à charbon, toutes les  misères de l'époque se donnaient rendez-vous et s’entassaient la nuit  sous les lumières blafardes, camouflées par nécessité de défense  passive. Ça sentait mauvais ! Une odeur âcre vous prenait jusque dans la  gorge ; les gens étaient sales... c'était la guerre ! Il fallait  parfois résister au sommeil trois jours et trois nuits de suite, pour  assurer un service toujours insuffisant. Comme bien d'autres, la demeure  de mes parents débordait de réfugiés belges et français.   Le  18 juin 1940, nous entendions pour la première fois le sinistre  hurlement nocturne des sirènes, et le 19 juin, nous vécûmes notre  première nuit de bombardements. J'avais alors dix-huit ans, et déjà ,  craignant l'invasion allemande, les jeunes gens privilégiés dont j'étais  envisageaient la fuite en Afrique du Nord. Le 20 juin, à midi, la voix  chevrotante et cassée du Maréchal Pétain annonçait les négociations avec  l'adversaire.   Le soir même, nous partions à six garçons dans  une voiture pour Port-Vendres où, après bien des péripéties, nous  embarquions sous le déguisement de soldats polonais, eux-mêmes en fuite.  Nous avions alors l'espoir de rejoindre le Général De Gaulle qui nous  semblait incarner la Résistance. Nous nous retrouvâmes au Maroc, puis  dans une Algérie encore dominée par Vichy pour revenir finalement en  France non occupée. C'était un échec !   Plus tard, reçu chez  ma marraine au Château de Roquepiquet en Lot-et-Garonne, je n’avais plus  qu’à rejoindre le reste de l’armée française à Tarbes, aussitôt  dissoute par l’invasion allemande de la zone dite libre. Je fis alors un  séjour estival au Collège Protestant du Chambon-sur-Lignon pour  préparer mon bachot que j’ai raté, trop préoccupé par l’idée de fuir  pour aller combattre.  A mon retour à Bordeaux, l’Organisation  Todt, de célèbre mémoire, réquisitionnait des jeunes gens pour  construire le fameux « Mur de l’Atlantique ». Refusant d’y aller, je me  suis caché un temps dans une ferme en Vendée, jusqu’au jour où deux  gendarmes français à bicyclette sont venus m’avertir : « Nous, on ne  vous a pas vu, mais eux, ils vous trouveront. » J’ai déguerpi  immédiatement, sans même prendre le temps d’avertir et de remercier les  paysans qui me cachaient.  Il me fallait rejoindre la  Résistance ...
   Â